André Berthou, algoculteur breton, recueille des algues à Trégunc, dans le Finistère, le 12 avril 2017

Plus de 700 espèces d'algues prospèrent le long des côtes françaises

afp.com/Fred TANNEAU

Pour atteindre le laboratoire de microalgues Algorapolis, installé dans le nord de Paris, le visiteur doit d'abord franchir un dédale d'escaliers et de couloirs au coeur d'un ancien réfectoire de la RATP. Drôle d'endroit pour cultiver la spiruline dans d'immenses bonbonnes d'eau chaude. "Nous en produisons 1 tonne par an, précise Gabriel Riboulet, maître des lieux. Cette source de protéines et d'acides aminés est la nourriture du futur : pas besoin de terre agricole, d'engrais ou de pesticide. Par ailleurs, les algues absorbent le CO2." Le fondateur d'Algorapolis réalise ce mois-ci une levée de fonds de 1 million d'euros. Lucide, le jeune entrepreneur reconnaît qu'il doit convaincre : "Ce sont surtout des sportifs, des végétariens, des naturopathes et des chefs en quête de saveurs qui achètent nos produits. Afin de convaincre le grand public, nous avons créé un atelier de cuisine ouvert à tous."

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Un secteur largement dominé par l'Asie

Pour l'heure, si les Français les tolèrent quand ils mangent asiatique autour d'un maki ou dans une soupe miso, peu de nos compatriotes mitonnent les macroalgues fraîches - laitue ou haricot de mer. Pourtant, plus de 700 espèces de goémons prospèrent le long des côtes. Malgré cette richesse, la France n'est que le 7e producteur mondial sur un marché en pleine croissance frôlant déjà les 9 milliards de dollars. Un secteur dominé par l'Asie, en particulier la Chine et l'Indonésie, où pullulent les fermes géantes. Tout le contraire de la Bretagne où l'essentiel de la production est récoltée sur la grève, ou cueillie au large, selon une réglementation stricte visant à protéger l'écosystème. Résultat : une algue alimentaire déshydratée française coûte entre 40 et 60 euros le kilo, de 10 à 20 euros pour sa concurrente asiatique. Outre ce handicap, la filière ressemble à un archipel constitué de 300 entreprises et start-up, divisé en deux camps : d'un côté les microalgues, comprenant la spiruline cultivée en laboratoire, et de l'autre les macroalgues (wakame, dulse...) issues de l'Atlantique.

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L'algue permet de remplacer nombre d'additifs

Tel un phare au milieu de l'océan, le centre de recherche et d'enseignement en biologie et écologie marines de Roscoff fédère des initiatives publiques et privées. Gestion des ressources génétiques, observation des cycles de vie... La station alimente sans relâche l'investigation. "Les transferts de connaissances avec l'industrie sont efficaces, fluides et rapides", se félicite Jacques Mazoyer, directeur scientifique de l'activité algues au sein de Cargill France, qui mise sur WavePure, une nouvelle marque promue après cinq ans d'études. Inutile de la chercher en magasin, elle est un texturant à base de poudre d'algues utilisé dans les crèmes desserts. Elle remplace les additifs obtenus par synthèse chimique, dont certains sont prohibés en raison des risques pour la santé.

La volonté de "nettoyer" les recettes des produits alimentaires profite en effet pleinement aux algues, dont l'image reste associée à la nature. Invisibles dans nos assiettes, elles deviennent ainsi omniprésentes comme ingrédients : Algama remplace les oeufs par des microalgues dans les pâtisseries destinées aux végans, Microphyt travaille sur des aliments fonctionnels pour prévenir les troubles de la mémoire. Des industriels les intègrent dans la nutrition animale afin de réduire le recours aux antibiotiques. Le breton Olmix élabore des formules qui renforcent l'immunité des poules pondeuses de la marque Cocorette...

Lever le frein pyschologique

La start-up Odontella va, elle, plus loin, avec le Solmon, ersatz de saumon fumé fabriqué avec des microalgues. Même couleur orangée et goût légèrement fumé. "Ce produit cible les 100 millions de végétaliens européens qui cherchent à équilibrer une alimentation dépourvue de protéine animale", précise Patrick de Bossoreille, président d'Odontella. Ce n'est qu'un début : la société prépare les lancements des pavés végétaux marins, des substituts de thon, coquilles Saint-Jacques et queues de gambas. "Ces innovations lèvent le frein visuel et culturel à la consommation d'algues, se félicite le chef d'entreprise. C'est une pédagogie douce." Douce et lente... A ce rythme, ce n'est pas demain que l'on conseillera de manger cinq fruits, légumes et... algues par jour.

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